Passager de la nuit 12 : Tom, l’homme de main

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J’ai rencontré Nathaniel dans un foyer pour enfants. Un de ces endroits immondes où les gosses dans notre genre, ceux que personne ne voulait adopter, étaient parqués. J’avais atterri là après avoir cassé le nez de mon dernier « tuteur ». Quant à Nathaniel, c’était une série d’incidents plutôt louches qui l’avait conduit dans ce pénitencier pour enfants qui ne disait pas son nom.
Ce jour-là, il se faisait tabasser par deux types plus grands que lui. D’ordinaire,Je ne me mêle jamais des histoires des autres, mais un des types m’avait demandé d’un air hargneux ce que je regardais. Alors, ça avait été plus fort que moi, je m’étais jeté dans la bagarre et ça avait changé l’équilibre des forces. Ce n’est que plus tard, tandis que nous attendions notre tour pour passer dans le bureau du directeur que Nathaniel et moi avions sympathisé… Enfin, que nous avions accordé nos violons pour offrir la même version des faits.
Cela marqua le début de notre collaboration. Nathaniel était malin, bien plus que tous les autres gamins, plus même que les adultes qui s’occupaient de nous. Le jour de ses dix-sept ans, nous nous sommes échappés ensemble du foyer. Seul, on m’aurait rattrapé au bout de quelques jours, mais grâce à lui, on ne nous a jamais repris. Tout de suite, il a mis au point des combines pour assurer notre survie. Je ne discutais pas ses décisions, c’était lui le Patron. Pourquoi en aurait-il été autrement ? Il était le plus intelligent de nous deux…
Les années ont passé. Le Patron montait des coups de plus en plus audacieux. Puis il plaçait l’argent gagné sous des identités bidons. Je le trouvais trop prudent et je ne comprenais pas pourquoi nous vivions si modestement alors que nous avions un tel paquet de fric à portée de la main. Je n’osais pas lui demander. Mes questions avaient le don de l’agacer. Il posait sur moi un regard glacial qui réveillait de vieilles peurs. Cette façon de me détailler, comme si j’étais insignifiant, me rappelait mon beau-père. Le seul être humain à avoir jamais provoqué la terreur en moi. Ses mauvais traitements m’avaient valu d’être placé en foyer. Oui, Nathaniel me rappelait cet homme-là… mais en pire.
Il était bien plus violent que les gens ne l’imaginaient. Je passais pour la brute de notre duo alors que Nathaniel n’avait rien à m’envier dans ce domaine. Il tuait de sang froid, sans s’arrêter là d’ailleurs. Il faisait des ‘expériences » sur les corps de ses victimes. C’était tellement atroce que je préférais rester dans l’ignorance. Il y avait plus qu’une part d’ombre en lui : il était fou. Un fou d’autant plus dangereux, qu’il ne se laissait pas guider par ses sentiments, mais par sa « raison ».
Quand il a commencé à me parler de vampires des âmes, d’immortalité et de ce genre de délires, j’aurais dû prendre mes jambes à mon cou. Mais il faisait partie de mon existence depuis si longtemps que je suis resté. J’ai mené l’enquête avec lui. Nous avons écumé les bibliothèques et les archives des plus petits villages. Parfois, Nathaniel s’animait en lisant de vieux documents. Il tenait un indice, enfin ! Mais le plus souvent, nous repartions bredouilles. Puis un jour, en passant devant une librairie, il est tombé en arrêt devant une croûte peinte par une artiste locale, qu’on avait glissée dans la vitrine.
Elle représentait un gars planqué dans une chambre sombre, bien dessiné ma foi, mais pour moi, ça manquait de couleur. Nathaniel l’a achetée sans sourciller et dans la voiture, il a laissé exploser sa joie. « C’est lui ! me dit-il. Regarde ! » Je ne savais pas de quoi il parlait, mais j’ai hoché la tête. « J’ai l’adresse du peintre, une étudiante. Le libraire me l’a donnée. Je n’ai plus qu’à la contacter… »
Il n’a pas eu le temps de mettre son plan à exécution. La justice l’a rattrapé, pour des broutilles. On ne l’a pas gardé longtemps en prison. Je suis tombé des nues quand à sa sortie, il s’est auto-proclamé expert en art et qu’il m’a promu chef de la sécurité… tout ça pour mettre la main sur une gamine ! On aurait pu l’enlever, tout simplement ! Mais il voulait qu’elle coopère, qu’elle peigne pour lui de nouveaux tableaux.
Il a fallu qu’il me montre son vieux bouquin, celui qu’il traînait dans toutes nos recherches pour que je comprenne. Les illustrations de son livre et les toiles de l’étudiante représentait la même homme, sans le moindre doute possible. Nathaniel exultait. « Il est là ! Tout près ! Je vais le trouver ! » Sauf que tout ne s’est pas passé exactement comme prévu… un peu par ma faute.
J’en avais assez d’attendre. La patience n’a jamais été mon fort. Quand la jeune fille est venue au deuxième rendez-vous, je l’ai enfermée à double-tour pour l’empêcher de repartir. Nathaniel était en colère. Plus question de suivre le plan initial, plus question non plus de la laisser retourner chez elle. On se serait fait coffrer pour kidnapping et ce qui était plus grave aux yeux du Patron, on aurait perdu la trace de son vampire !
Il a fallu composer avec le copain de la fille. Si je m’étais écouté, je l’aurais simplement liquidé, mais le Patron pensait autrement. Il le laissa partir pour montrer qu’il n’avait rien à cacher et endormir sa méfiance. J’ai bien vu pourtant, que le type ne croyait pas un mot de ce que Nathaniel lui disait, je sentais venir les ennuis. Hélas, une fois de plus, j’ai suivi mon Patron plutôt que mon instinct.
La fille a choisi ce moment là pour faire preuve de bonne volonté. Elle nous a enfin pondu une toile… Nathaniel a failli péter les plombs en découvrant le visage du jeune homme qu’on venait juste de laisser filer en compagnie de son vampire ! Heureusement, nous n’avons pas mis longtemps à le retrouver. Il habitait tout près. Pour une fois, le Patron m’a laissé mener les opérations… Pensez-vous que ça m’ait mis la puce à l’oreille ? Eh bien non !
Je suis parti en avant, heureux de pouvoir agir à ma guise. J’allais ramener ce gars par la peau du dos, en lui collant quelques horions en prime si jamais il résistait ! L’appartement était plongé dans le noir. Il devait dormir. Ce serait du gâteau ! Je suis entré sans bruit, j’ai avancé jusqu’au lit, me préparant à bondir pour le maitriser.
C’est là que la douleur m’a cloué au sol. Ma tête me faisait terriblement mal, je n’avais jamais rien connu de tel. Une voix furieuse grondait dans mon esprit. Elle ne voulait savoir qu’une chose et la répétait en boucle, me traversant la cervelle de part en part : « Où est Emma ? ». Je ne pouvais pas répondre. Je me tortillais par terre et j’appelais à mon secours la seule personne susceptible de m’aider : Nathaniel… mais il s’était enfui.
Voilà pourquoi il m’avait laissé le champ libre. Il voulait juste savoir si celui qu’il traquait était là et de quoi il était capable. Je n’étais qu’un misérable pion dans son jeu. Mes pensées s’égaraient, m’échappaient… on me les volait. Les dernières furent pour Nathaniel, pour le maudire et lui souhaiter une mort aussi douloureuse que la mienne. J’ouvris les yeux pour regarder mon assassin en face. Le Patron s’était trompé. Le vampire des âme n’était pas un homme, c’était une femme au visage implacable.
Je partis réconforté. La puissance de l’ennemi était telle que Nathaniel n’avait aucun espoir d’en réchapper…

 

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